En arrivant au dernier étage de la Brasserie Barbès (Paris 18ème), où nous avons rendez-vous avec monsieur Semoun, on croise Yan Céh, pigiste de luxe pour mags snobinards (y compris Technikart). Ni une ni deux, on lui propose de mener l’entretien à deux. Attention les dégâts…
Laurence Rémila : Avant de venir ici, on a vu des comptes sur Insta’ qui font des remakes de tes « petites annonces ».
Élie Semoun : Oui, je vois l’impact qu’elles ont eu sur plein de gens, c’est vraiment marrant. Je reçois des mails de filles qui me racontent en avoir refait quand elles étaient ados, comment elles se sont déguisées, etc. Mais je le vois aussi avec mes collègues humoristes qui sont plus jeunes que moi. En fait, j’ai l’impression parfois d’être le Bescherelle de l’humour ! Leurs références, à chaque fois, c’est ce que je faisais avec Dieudo et les petites annonces.
Yan Céh : J’aimerais qu’un jour…
Ah non ! Ne dis pas « qu’on revienne ensemble avec Dieudo ! »
Y.C. : Non, qu’il s’excuse !
Mais j’en ai parlé avec lui cinquante fois…
Y.C. : Dans l’histoire avec Dieudonné, l’amour que tu as pour lui semble plus fort que toutes les conneries qu’il a pu dire depuis.
L’affection que j’ai pour lui, c’est plus fort, mais certaines choses ne peuvent pas s’effacer. D’ailleurs, c’est très drôle parce que quand il m’a proposé de revenir avec lui…
Y.C. : C’est lui qui t’a proposé ?! Le mec n’a peur de rien.
Je lui ai dit « mais Dieudo, tu te rends bien compte que je vais me faire défoncer par tout le monde ! » Et il m’a répondu : « mais attends, moi, tu sais qu’avec Alain Soral, je vais me faire engueuler aussi ». (Rires.) Je me suis dit : là ça devient vraiment n’importe quoi ! (Silence.) Je ne sais pas s’il a conscience des répercussions que son travail a sur une certaine population. C’est quelqu’un qui influence. Dieudo a une responsabilité, comme chaque personnalité publique…
L.R : J’ai un contentieux avec vous. J’étais venu vous voir au Salon du livre en 2000, pour une rencontre organisée par l’éditeur de votre recueil de poésies, et vous n’êtes jamais venu sur son stand.
Ah bon ? Mais c’est dégueulasse ! Je ne m’en souviens plus du tout. Il y a dix-huit ans donc ? Je ne pense pas que j’ai pu poser un lapin, et je suis toujours à l’heure, à la minute près…
L.R. : Un caprice de star télé, alors ?
Non ! En vingt-cinq ans, je n’ai jamais raté une représentation ou une obligation professionnelle.
Y.C. : Mais quand on est artiste, ça arrive d’avoir des mauvais jours, de ne pas s’être remis d’une cuite la veille…
(Il insiste.) Ce n’était pas le cas mon cher… Je suis confus alors…
Y.C. : Il y a quelques années, j’étais dans un restaurant du Cap Ferret et tu te prenais la tête avec le staff pour une histoire de réservation de table.
Je vais en prendre plein la gueule ! Mais vous êtes sûr que vous parlez de la même personne ? C’est tellement pas moi ça.
Y.C. : Je me suis dit qu’ils avaient dû faire un truc…
Non mais il va me laisser parler oui ! C’est pas vrai ! Je suis en dehors du cliché du mec connu. Je ne bois pas, ne me drogue pas, je ne fais pas de caprice ni de colère, je ne tape pas du poing sur la table pour dire « je veux ci, je veux ça », donc là, vous m’avez donné deux exemples qui ne me ressemblent pas…
Y.C. : Ça arrive à tout le monde…
C’est bizarre. Je ne sais pas quoi te dire.
L.R. : Bien. Tu sors un nouvel album de jazz crooner ces jours-ci.
Tout à fait. C’est le troisième.
L.R. : D’ailleurs sur le premier, il y avait un morceau dont la musique était de Henri Salvador.
Oui, j’ai écrit les paroles et lui la mélodie.
L.R. : Comme on entend toujours des histoires épouvantables à son sujet (y compris dans les pages de ce magazine, où Biolay le traitait de « con »), on aimerait savoir : as-tu quelque chose de gentil à dire sur Henri Salvador ?
Y.C. : Ou quelque chose tout court…
L.R. (à Y.C.) : Yan, je pose mes questions et tu poseras les tiennes.
Vous faites un duo en fait ? Dans combien de temps vous jouez au Point-Virgule ? Le principe c’est toi qui commences à parler et lui qui dit « non ! ». (Rires.) Les gars, j’ai vraiment envie de fumer une cigarette…
Y.C. : Eh bien je vais aller te trouver des cigarettes.
C’est vrai ? Enfin un truc gentil, merci !… Je sais que beaucoup de gens ont des griefs contre Henri Salvador et, comme tout le monde, j’ai appris des choses sur lui. Mais il m’est arrivé de faire un concert, c’était au Petit Journal, et il s’est quand même déplacé pour me voir. J’ai chanté devant lui « Syracuse ». J’étais complètement flippé. Salvador, le créateur de la bossa ! Qu’est-ce qu’il va me dire ? Il a été adorable et m’a donné des conseils : susurrer les choses, m’approcher du micro, faire comme si je parlais à l’oreille d’une femme. Il a été assez bienveillant avec moi. Il a pu être un sale type certaines fois, on me l’a rapporté, mais je ne l’ai jamais vu.
L.R. : On est ravi d’apprendre qu’il avait des côtés sympathiques.
Il m’aimait bien. Il est venu me voir jouer à l’Olympia, aussi. Pour un comique comme moi, les références c’est Bourvil, Fernandel et aussi Henri Salvador. Il était marrant, il faisait des émissions drôles à la télé, des sketches sur scène… Mais lui-même m’avait dit après la représentation à l’Olympia « mon pote, tu devrais faire les deux, chanter et faire de l’humour ». J’ai essayé mais ça n’a pas marché parce que tu prends les gens en otage.
L.R. : Il y a de bons contre-exemples pourtant : sur scène, Dean Martin casait des gags entre les chansons.
Tu sais, j’ai un univers un peu trop noir… Dans mon dernier spectacle, je fais un pédophile, un djihadiste, un mec du Front national, c’est hyper saignant… Mon pédophile raconte : « là je reviens de Thaïlande, j’ai pas trop visité la région, c’est plutôt les rapports humains qui m’intéressent ». Je ne me vois pas faire ça et deux secondes plus tard, chantonner « Ce soir, je voulais t’écrire… » (Rires).
L.R. : Là, tu sors ton album jazzy, mais aussi un livre sur ton autre grande passion, le jardinage.
Oui, ça date de quand j’ai acheté ma baraque en région parisienne il y a quinze ans. J’ai toujours été fasciné par la beauté des plantes. En plus, le jardinage, je considère que c’est un travail d’artiste. Dans mon jardin, c’est comme si c’était une feuille blanche, et j’organise mon truc, je déplante, je mets mes ruches ici, des hortensias là… je suis assez calé maintenant.
L.R. : J’ai un petit problème d’hortensia en ce moment (notre rédacteur en chef en fait des tonnes depuis qu’il a son propre jardin, ndlr).
Ah ? Tu n’as pas dû le mettre à l’ombre.
L.R. : Si si, il est à l’ombre du cerisier.
T’as pas dû mettre de terre de bruyère.
L.R. : Non, je n’en ai pas mis.
Erreur. (Rires). Et il faut que tu l’arroses bien. Bon, on peut parler de l’album maintenant ?
Pelouse interdite (éditions Ulmer, 192 pages, 19,90 €)
Des Paroles en l’air (Naïve Jazz)
Entretien Laurence Rémila & Yan Céh
Photos Pascal Ito & Axelle Gobert Ulmer